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Hunter Kriss home world
28 août 2006

George Romero et les morts-vivants: Comment y voir plus clair avec Zombie Futé

Les choses sont peu à peu devenues très compliquées avec la trilogie des morts-vivants de George Romero. Pour commencer, il ne s'agit désormais plus d'une trilogie, puisque Romero sort cet été un quatrième volet,

LAND OF THE DEAD

. Mais lorsqu'aux suites officieuses succèdent les remakes, lesquels connaissent leurs suites respectives, il devient difficile de s'y retrouver. On fait le point, ça m'amuse, et j'aime énormément ces films, qui touchent un nerf chez moi.

En 1968 sort LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, premier long-métrage de Romero. C’est un film extrêmement important à divers points de vue. Romero a bouleversé le cinéma fantastique en brisant les règles du genre. L’héroïne annoncée sombre dans la catatonie, dont elle ne se réveillera que trop tard. Les explications au réveil des morts sont laissées au panier, abandonnant les personnages aux conjectures, à l’incompréhension, au désarroi, à la terreur pure. Loin des conventions de leurs prédécesseurs, les zombies de Romero n’ont aucune identité définie, aucun dessein d’outre-tombe. Et ils sont cannibales – un choc total en 1968. Le dénouement est d’une noirceur insondable. Le fantastique ne s’en remettra jamais totalement, et va évoluer dans les années 70 vers l’épouvante pure, et bien sûr vers le cinéma gore. Mais le film original surprend aussi par son réalisme. Ce réalisme ne tient pas tant à la mise en scène (à l'esthétique parfois proche d'épisodes de CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR – voir la scène de la boîte à musique), qu’à son propos symbolique, peinture en noir d’une Amérique repliée sur elle-même, raciste, lâche et dénuée de cohésion sociale. Romero n’a pas pour rien confié le rôle principal à un acteur noir (Ferrara se souviendra de la première apparition de Duane Jones pour son BODY SNATCHERS : la brutalité du surgissement dans le plan d'un homme noir implique, par réflexe, l'idée d'une agression), et entame avec ce film une carrière très personnelle dans le fantastique, qui ne se détachera jamais totalement d’un point de vue critique et sans illusion sur les Etats-Unis et sur notre civilisation en général. Si vous souhaitez vous le procurer en DVD, évitez à tout prix l'édition "du 30e anniversaire" proposée en France par l'éditeur Elephant : son inaudible, version colorisée hideuse, quant aux suppléments, ils ne concernent que le remake de 1990.

Car remake il y a. Cliché : le remake est un exercice vain, risqué et rarement justifié – surtout au vu des résultats obtenus. Sous l’égide de George Romero, Tom Savini se lance dans la réalisation d’une nouvelle version du film en 1990. La justification en est claire, et à tout prendre assez acceptable : Romero a décidé de produire une nouvelle version de son film simplement parce qu’il en a perdu les droits d’exploitation, et qu’il lui était pénible de voir l’argent que rapporte le film chaque année (diffusions TV, rétrospectives, exploitation vidéo) lui passer sous le nez sans qu’il touche même de quoi se payer une bière. Sachant les difficultés qu’éprouve Romero à monter ses projets dans le circuit indépendant, ça se comprend, et il aurait eu tort de se priver de son seul droit : l’exclusivité du titre du film. Cette exclusivité avait d'ailleurs été l'objet d'un procès contre Dan O’Bannon pour LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS (RETURN OF THE LIVING DEAD). Non pas que le film de Dan O'Bannon relève vraiment du plagiat : c'est une belle réussite qui, bien loin d'occulter la référence à Romero, la mettait en valeur d'une façon inattendue et assez cocasse). Mais Romero souhaitait garder le contrôle de la franchise. Résultat du procès : le terme "living dead" (NIGHT OF THE LIVING DEAD) lui échappe, mais le terme "the dead" (DAY OF THE DEAD, LAND OF THE DEAD) lui appartient légalement. Mais revenons brièvement à ce remake, d’autant plus que la nouvelle version a de la valeur. Ne sombrant à aucun moment dans la parodie, Tom Savini livre un film assez bien mis en scène, qui suit la trame de l’original au plus près pour mieux surprendre son spectateur en détournant de façon inattendue telle ou telle séquence mythique de l’original. La conclusion notamment bifurque vers des éléments déconcertants hérités des films ultérieurs de la trilogie de Romero. Un gros bémol cependant pour la musique du film, souvent détestable. Si cet opus est moins gore que les précédents (mode de production oblige), il reste tout aussi sombre, et vaut vraiment le coup d’œil.

En 1978, s’associant à Dario Argento pour mettre en scène une suite tardive de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, Romero a réalisé avec ZOMBIE un classique incontournable du fantastique des années 70, et l’un de ses meilleurs films. Je suis toujours surpris en lisant ici ou là des critiques du film qui, bien qu’élogieuses, passent totalement à côté du propos en décrivant ZOMBIE comme une forme de western de l’horreur, comme un film absolument pas effrayant mais prodigieusement distrayant et jouissif. Constat fréquent mais à mes yeux incompréhensible. Si le récit est mené à un train d’enfer, le ton en est pourtant noir et très inconfortable. Certes, on voit à l’œuvre des milices exterminant les cadavres ambulants dans une ambiance de kermesse ; des pillards jouer avec les morts, rire en les mutilant ; même les personnages principaux, des déserteurs repliés dans un supermarché, semblent par moments prendre du plaisir à nettoyer les lieux des ghoules qui les hantent. Mais Romero insère ces séquences dans un contexte qui n’en dissimule jamais les enjeux réels : les zombies ont été des êtres humains, et la fièvre exterminatrice s’essouffle au fur et à mesure que leurs rangs s’élargissent. Les quatre déserteurs (excellents interprètes) ont fui un état de siège à leurs yeux vain et désespéré pour s’en construire un autre, identique, quelques kilomètres plus loin. La situation dans le supermarché a les atours d’une planque confortable au sein de laquelle ils peuvent se laisser aller à l’ivresse de pouvoir consommer, de posséder, mais cette illusion d’oasis de paix se fissure peu à peu : l'angoisse, mise entre parenthèses, est toujours là; l’ennui s’installe, les relations se dérèglent, et l’irruption des pillards n’est pas la cause de l’invasion spectaculaire qui s’ensuit, elle n’en est que le déclencheur : l'un des déserteurs, contre l'avis de ses camarades, décide de défendre son territoire et ses possessions dans un élan bien américain qui aura des conséquences désastreuses. Le film s’achève comme il a commencé, de façon extrêmement abrupte. Sans introduction, sans dénouement, dans un mouvement d’espérance trop certainement illusoire. Excellent, mais diablement inconfortable. Ici, il faut souligner que ZOMBIE existe en trois versions distinctes : la version américaine montée par George Romero (DAWN OF THE DEAD), un director's cut plus récent présentant un métrage sensiblement plus long, et la version européenne montée par Dario Argento avec l'apport de la musique des Goblin, réputée être la plus réussie.

Devant le succès commercial énorme que rencontre le film, les italiens ne se priveront pas de poursuivre la saga en solo en produisant dès 1979 ZOMBI II (L'ENFER DES ZOMBIES), premier film de la période gore de Lucio Fulci, période passionnante dont L'ENFER DES ZOMBIES, plus linéaire, n'est d'ailleurs pas le meilleur opus (on lui préfèrera de très loin

FRAYEURS

ou L'AU-DELA). Plus tard, en perdition, Fulci essaiera de boucler un ZOMBI III (terminé par Bruno Mattei) pas aussi mauvais qu'on a bien voulu le dire, mais définitivement bis. C'est ZOMBIE que remake le tout récent L'ARMEE DES MORTS de Zach Snyder (2004) : un film de très bonne tenue, mais qui par comparaison paraît bien terre à terre et ne sort pas du cadre (par ailleurs respectable) du film de divertissement - la charge massive contre la société de consommation, contre le conformisme forcené des masses, a ici totalement disparue. Un bon remake qui n'efface pas l'original des mémoires, ne lui arrive pas à la cheville mais, en soi, fonctionne gentiment (avec surtout un excellent générique de fin). Attention : on annonce déjà un L'ARMEE DES MORTS II qui sera donc la suite du remake. L'histoire ne dit pas encore s'il s'agira aussi du remake de la suite, à savoir LE JOUR DES MORTS-VIVANTS... à moins que les américains ne prennent en considération le ZOMBI II de Lucio Fulci - ce qui serait peut-être assez compliqué, car il existe déjà un ZOMBI III.

En 1985, Romero sort son troisième volet, LE JOUR DES MORTS-VIVANTS, donc. En revoyant cet excellent film de Romero, on réalise à quel point le cinéma d’épouvante était permissif à cette époque. On réalise aussi à quel point les excès gore du film ont contribué à défaire la carrière du cinéaste. Tel quel, LE JOUR DES MORTS-VIVANTS, intelligent, courageux, original, émouvant, n’a pas pu être distribué en salles aux Etats-Unis en dehors des circuits pornographiques, et jamais depuis Romero n’a livré d’œuvres aussi audacieuses. Les séquences gore font partie du film, et d’une certaine façon elles contribuent efficacement au dénouement, comme dans ZOMBIE. La partie est perdue pour le genre humain, la mort reprend ses droits, dans toute son horreur. Le récit est un instant en stand-by, et les touches d’humour noir de cette partie du film ne désamorcent en rien le malaise. Romero achève ici, pour les vingt années à venir du moins, sa future ex-trilogie des morts-vivants, série d’une cohérence exemplaire. Dans LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, le phénomène surgissait dans un coin de campagne, isolé, inexpliqué. Les forces de l’ordre semblaient reprendre le dessus au terme du récit. L’essentiel du film consistait à instaurer un huis-clos symbolique en diable, un survival sans espoir, d’une noirceur indicible. Dans ZOMBIE, le phénomène avait explosé, la civilisation était en crise, la résistance contre les légions de morts ne parvenait pas à s’organiser de façon efficace. Un groupe de déserteurs fuyait le chaos, et investissait un supermarché, pour s’y oublier le temps qu’une bande de pilleurs vienne les déloger en force. Fin ouverte, abrupte comme l’était l’ouverture. LE JOUR DES MORTS-VIVANTS nous dépeint notre monde après l’apocalypse. Les villes sont mortes, les radios sont muettes. Il n’y a plus rien. Quelques survivants, scientifiques et militaires, subsistent dans un laboratoire sous-terrain, et s’entredéchirent alors que le sens de leurs missions respectives s’évanouit peu à peu. Ici, les personnages principaux ne fuient pas, ils décident de faire face à la crise, et s’ils ne parviennent pas à maîtriser le chaos, le film s’achève néanmoins sur une note d’espoir et d’apaisement. Comme les opus précédents, le propos est extrêmement riche et pertinent, l’interprétation est excellente, la mise en scène abrupte et réfléchie. Pas d’héroïsme à tort et à travers, pas d’instrumentalisation de la peur, la situation est ce qu’elle est, et les personnages luttent avant tout avec leur désarroi. Impressionnant.
Et comme ses deux grands frères, LE JOUR DES MORTS-VIVANTS a à son tour été l'objet d'un remake isolé, pour l'instant inédit, qui s'annonce moins "grand public" que L'ARMEE DES MORTS, mais l'histoire ne nous dit pas encore si le film sera distribué en salles, en vidéo ou distribué tout court... D'ici à ce qu'il soit l'objet d'une suite ?

Pendant ce temps-là, la série des RETOURS DES MORTS-VIVANTS continue son petit bonhomme de chemin, et tout le monde s'en fout. Mais personne ne se fout de

LAND OF THE DEAD

, qui nous arrive tranquillement sur le coin du nez, avec Asia Argento, Dennis Hopper et Ving Rhames... Romero profite du succès renaissant du film de morts-vivants en salles pour revenir derrière la caméra après cinq ans de silence radio (rien depuis son sous-estimé BRUISER); il nous dira encore que c'est un galop de complaisance pour pouvoir tourner un autre projet lui tenant à coeur. Mais s'il paraît toujours embarrassé à l'idée d'être réduit à ses zombies, George Romero doit bien admettre que c'est aussi les films en question font preuve d'une énergie et d'une personnalité uniques, restées inégalées. Mais une personnalité que l'on retrouve aussi, c'est vrai et il faut le souligner, dans des films moins populaires comme MARTIN ou SEASON OF THE WITCH.

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